Ou la rebellion étranglée du Prince Philippe
Dimanche 8 mars 2020, c’est mon premier opéra. J’ai choisi cette pièce plus intriguée qu’attirée par la description et les images publiées sur le site de l’Opéra Garnier. Nous étions passés entre les gouttes, entre grèves des réformes des retraites et mesures de restriction lié au virus vous savez lequel. Au moment de partir, un gros doute, est-ce que ça va être bien ? Ou allais-je détester parce que cela empestera la misogynie ? Aller voir une chose pareil un jour pareil, ça serait le comble! Il faut dire que sur le papier cela pourrait être le cas et puis l’opéra classique ne m’a jamais beaucoup attirée. Musique toujours trop pompeuses à mon goût, des vocalises interminables qui feraient pâlir le chevalier blanc incarné par Gérard Lanvin en 1977, soit un condensé de snobisme inbuvable. Cependant, j’avais adoré les ballets de ANNE TERESA DE KEERSMAEKER et MATS EK, alors pourquoi pas ?
« La princesse Yvonne n’a rien d’une princesse : elle est laide, apathique et taciturne. Objet de moqueries permanentes, elle dérange, elle irrite à l’excès. L’opéra de Philippe Boesmans, commandé au compositeur belge par l’Opéra national de Paris en 2008, est une oeuvre à part : à la fois sordide et drôle, d’une cruauté inouïe mais aussi irrésistiblement séduisante, elle révèle à celui qui la regarde toute la noirceur de l’âme humaine. Portés sur scène par une mise en scène troublante signée Luc Bondy, la partition et le livret conservent tout de l’humour noir et du cynisme de la pièce éponyme du dramaturge Witold Gombrowicz.»
Cette claque, j’en suis restée sonnée, à réfléchir tout le reste de la journée. Sous une apparente simplicité se cachaient plusieurs couches des significations. J’ai eu un plaisir intense à les interpréter à ma manière. Je pensais qu’il serait beaucoup question d’une certaine vision de la femme idéale mais pas que…
Le Prince Philippe est en pleine crise existentielle, son existence est terne lorsqu’il tombe sur Yvonne, l’antithèse même d’une dame de cour, il décide de l’épouser. Il la présente à ses parents et savoure l’effet que sa décision produit sur ses géniteurs. Il n’aime pas Yvonne pour autant mais elle le fascine et lui procure de la distraction. Les situations sont renversées par sa simple présence, son ignorance de l’étiquette fait que, pour lui montrer l’exemple, le couple royal et la cour se retrouvent à lui faire la révérence au lieu de l’inverse.
Elle est hors du système de valeurs du monde qui est dépeint dans ce drame, un monde ou la forme prime sur le fond. Les secrets hideux de chaque personnage sont révélés à cause de la singularité de la Princesse. Même quand le Prince s’en désintéresse pour séduire une autre femme de son rang et veut la faire partir, elle reste et continue de le regarder, de le suivre.
Le trouble aussi le Roi qui reconnait en elle ses erreurs du passé, pour ne plus y penser, il s’en prend aux secrets de sa femme. Et tous deux finissent par décider d’éliminer la Princesse le jour du mariage. Lui faire manger des perches pour qu’elle s’étouffe avec pendant le banquet.
La mise en scène était cousue de voyeurisme avec des personnages que nous remarquions derrière les fenêtres du décor et nous nous demandions depuis quand ils étaient là. Tout le monde voyait tout, tout se savait. Mais il fallait malgré tout sauver les apparences.
C’est la dernière phrase du Roi s’adressant à son fils, une fois la malheureuse assassinée qui dit « Tu ne peux rester debout, si nous sommes tous à genoux» qui m’a interpellée. Si nous ne regardons pas Yvonne comme une personne mais comme une idée de révolte, tout devient clair. Le Prince s’agenouille avec le reste des personnages. L’impertinent est maté, tout est rentré dans l’ordre, fin de l’histoire.
Je pourrais aussi parler des costumes, quand toute la cour portait des costumes extravagants, pleins de couleurs avec des bijoux qui scintillent. Le rouge, la couleur royal était réservée au Roi. La reine et le Prince en possèdaient quelques touches. La princesse également en était maquillée, comme un clown une fois introduite dans la demeure royale. Toutes les tenues de la princesse étaient dans les tons pastel, clairs, elle paraissait enfantine, elle parlait très peu, ne chantait pas.
Sa mort par un poisson la métamorphose en poisson. Il doit y avoir un symbole la dedans, une ironie quelque part. Le poisson est symbole de Jésus dans le Christianisme, et aussi écarte le mauvais oeil, les mauvaises intentions que d’autres peuvent avoir à notre égard.
Yvonne est un ovni, j’avais peur d’avoir fait une erreur, oui c’était noir, cynique, ironique et tragi-comique, mais j’ai rarement été aussi transportée par un spectacle.